Chasseurs-cueilleurs modernes

"Il y a un décalage entre ce que l'évolution a fait de nous, et les conditions de vie modernes."

"Il y a un décalage entre ce que l'évolution a fait de nous, et les conditions de vie modernes."

Le livre de Heather Heying & Bret Weinstein, Guide du Chasseur-cueilleur égaré au 21ème siècle, examine notre vie moderne à travers le prisme l’évolution. Par une série d’exemples fascinants, les auteurs montrent qu’un grand nombre des problèmes auxquels nous sommes confrontés pourraient être résolus si l’on adoptait ce point de vue évolutionniste. Rencontre avec les auteurs. 

Vous parlez dans le livre de la « niche » de l’humanité. De quoi s’agit-il et pourquoi est-elle unique ?

Heather Heying : Pour définir une niche, on peut dire qu'il s'agit d'une opportunité. Et donc pour la plupart des créatures sur Terre, il s’agit d’une opportunité écologique, c’est-à-dire l’ensemble des éléments qui leur permettent de subsister et se reproduire. Le problème avec nous, les humains, c'est que nous sommes assez paradoxaux : nous faisons tout, nous chassons des mammifères marins, nous cultivons la terre, nous faisons de la soupe avec des nids d'oiseaux, etc. Donc les êtres humains ont plein de niches différentes. Et l'argument que nous avançons dans le livre est que la niche humaine, c’est le changement. La capacité de passer d'une niche à l'autre, c'est notre avantage spécial dans l'univers, et cela explique pourquoi nous sommes tant de choses à la fois.

Bret Weinstein : Donc d'une certaine manière, on est doué pour changer de niche écologique ou s'adapter à de nouvelles niches, alors que les autres animaux ont souvent beaucoup de mal à y parvenir.

Comment l’être humain a-t-il réussi ces adaptations ? Vous opposez culture et conscience.

H.H. : Passer d’une niche à une autre est difficile si elles sont nettement distinctes. Une chose que nous savons faire, c’est changer de logiciel. Si vous êtes chasseur de mammifères marins sur la côte et que vous vous déplacez vers l'intérieur des terres pour chasser les mammifères terrestres, vous devez changer vos pratiques. Certaines choses resteront pertinentes et d'autres devront être modifiées. Comment savoir ce qu’on doit changer ? Ce que font les êtres humains, c'est qu'ils parlent de ce qu'ils ont observé et de ce qu'ils pourraient apporter comme solution. Et c'est ce processus de prototypage qui permet de comprendre comment faire une nouvelle chose. Mais on sait que les premiers prototypes ne sont pas tous bons. Ils font des erreurs. Et donc il faut se rendre dans la nouvelle niche, déterminer ce qui pourrait être essayé, puis l’affiner. Et une fois que c'est affiné, on peut coder ce mécanisme pour qu’il puisse être transmis rapidement et avec une grande fidélité. Et donc dans le livre nous disons que la culture est le mécanisme par lequel nous transmettons. Et la conscience est la façon dont nous envisageons ce que nous pourrions faire.

B.W. : Donc, juste pour reformuler ce qui a été dit, la culture, c’est ce que nous avons fait avec succès. Et si les choses ne changent pas, si l'environnement ne change pas, que ce soit dans l'espace, dans le temps ou d’une autre manière, c’est ce que nous devrions pouvoir continuer à faire efficacement. Et la conscience est ce que nécessite l'innovation : un engagement actif sans protocole défini. La conscience est tout à fait nécessaire si, en tant qu'êtres humains, nous sommes activement engagés dans le changement de niche et la recherche d'opportunités et nous sommes exposés à des choses auxquelles nous n'avons jamais été exposées auparavant. Notre culture ‒ ce que nous héritons de nos ancêtres, de nos familles, la manière habituelle d’agir ‒ reste pertinente : vous savez que si les conditions ne changent pas, vous pouvez utiliser cet héritage avec succès, vous n'avez pas besoin de réfléchir à chaque étape.

Le thème central du livre, c’est qu’il y a un décalage entre la manière dont l’évolution a façonné notre cerveau et notre corps, et l’environnement moderne. Vous l’illustrez de plusieurs manières, par exemple en parlant du rôle de l’appendice.

B.W. : Il faut commencer par expliquer ce qu’est la clôture de Chesterton. Gilbert Keith Chesterton est un philosophe anglais du début du XXème siècle. Il explique ceci : vous marchez le long d'une route, et vous voyez une clôture qui vous semble inutile. Vous dites à votre ami qu’il faudrait l’enlever. Et votre ami vous répond qu’on ne doit pas l’enlever tant qu’on ne connaît pas sa fonction car on ignore les conséquences de la suppression de la clôture. L’idée de la clôture de Chesterton, c’est que quand quelque chose vous déplaît ou vous semble inutile, il ne faut pas s’en débarrasser à moins que vous puissiez expliquer quelle est sa fonction.

H.H. : C'est une sorte de principe de précaution. Pour en revenir à l’appendice, on a longtemps considéré que c’était un vestige organique inutile, en voie de disparition. Quand on dit que c’est un organe résiduel, le message, en réalité, c’est « on ne sait pas à quoi ça sert ». C'est comme la clôture qui traverse la route. Quelle est la véritable utilité de l’appendice du point de vue de quelqu'un qui utilise le prisme de l’évolution ? Petit à petit, on commence à comprendre les avantages probables de cet organe. La meilleure explication est que cette poche dans nos intestins capture un échantillon du microbiote bénéfique à notre intestin. Lorsque nous tombons malades, parce que nous avons ingéré une bactérie qui provoque une diarrhée, nous perdons la flore intestinale bénéfique. Celle de l’appendice permet à notre intestin de se repeupler très rapidement, avec des micro-organismes testés et éprouvés. Maintenant, l'ironie de cette histoire, c'est que l’appendice est beaucoup moins important pour nous, les ex-chasseurs-cueilleurs : on peut nous la retirer sans que cela nous affecte, parce que nous avons beaucoup de nourriture à notre disposition, donc la capacité de repeupler instantanément l’intestin. Mais pour nos ancêtres, la capacité de repeupler instantanément l’intestin à partir de l’appendice a très bien pu être une question de vie ou de mort.

B.W. : Il y a beaucoup moins de cas d'appendicite dans les populations non occidentales. Mais des diarrhées beaucoup plus fréquentes du fait de la contamination des aliments par les bactéries. Et à chaque épisode de maladie gastro-intestinale, avoir un appendice fonctionnel est beaucoup plus sain, à long terme. Il faut préciser, par rapport à ce qui vient d’être dit, qu’avoir suffisamment de calories et de nutriments à notre disposition n'est pas la même chose que d'avoir des microbiotes microbiomes sains. A moins d’acheter notre nourriture sur les marchés, il n’est pas sûr que ce que nous avalons chaque jour entretient la diversité de la flore intestinale dont nous avons besoin pour être en bonne santé.

Dans votre livre, vous abordez de manière critique la question de l’alimentation ancestrale.

B.W. Oui, on fait l’erreur de penser nous sommes adaptés à une seule forme d’alimentation, et que nous n'avons pas changé depuis lors. Or les humains continuent d’évoluer. Alors oui, la savane du Paléolithique est une réalité dans laquelle nos ancêtres chasseurs-cueilleurs ont existé et à laquelle nous nous sommes en partie adaptés. Mais il y avait aussi à la même époque, des peuples vivant le long des côtes, et il y a 10 à 12 000 ans, la plupart des humains ont découvert à de nombreux endroits l'agriculture. Nous sommes donc également adaptés à une alimentation et à un mode de vie agricoles. De la même manière, toutes les cultures humaines ont maîtrisé le feu. Et donc nous avons eu du feu et nous faisons cuire des aliments depuis très longtemps. L'idée, défendue par certains, qu'une alimentation crue est la meilleure pour nous, est fausse. En fait, de nombreuses personnes qui consomment des aliments crus sont sous-alimentées. Parce que l'une des choses que fait la cuisson des aliments c’est d'extraire plus de nutriments de ces aliments.

Vous avez un point de vue très original sur le sommeil.

B.W. : L'une des choses que nous savons grâce aux neurosciences, c'est que les synapses se régénèrent pendant le sommeil. Et donc nous trouvons là une justification au besoin de dormir, de désirer plus de sommeil aux moments de la vie où il y a une demande pour plus de connexions synaptiques. Et donc cela est cohérent avec l'observation que le sommeil diminue avec l'âge, et que les bébés et les tout-petits dorment énormément. Et puis en grandissant ils dorment un peu moins, puis la puberté arrive. Et soudain, ces jeunes adultes, ces ados dorment encore considérablement. Et cela a probablement à voir avec la croissance et la structuration du cerveau, et tirer les gens de ce sommeil, ne serait-ce que pour aller à l’école, pourrait être destructeur.

Extraits du podcast Mind & Matter de Nick Jikomes 

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