Cancer et alcool

La consommation modérée d’alcool peut-elle favoriser le développement d’un cancer ?

La consommation modérée d’alcool peut-elle favoriser le développement d’un cancer ?

Dans cet extrait de Trop de médecine, trop peu de soins, Claude Béraud fait une analyse des données scientifiques sur le lien entre consommation modérée d'alcool et cancer. L'alcool est-il vraiment cancérigène ? Si oui, s'agit-il de toutes les boissons ? A quelle dose ? Pour qui ? Démêlez le vrai du faux avec le Pr Béraud.

Les spécialistes, cancérologues et biostatisticiens, à partir des informations fournies par la comparaison du devenir d’individus, les uns abstinents, les autres consommant des quantités plus ou moins importantes d’alcool, répondent presque à l’unisson : oui, l’alcool est cancérigène, mais peut-être pas toutes les boissons alcooliques.
L’effet de l’alcool sur les cancers varie avec leur localisation.

Alcool et cancer du sein

En raison de sa fréquence (44 232 cas chez les femmes de plus de 45 ans en 2005 en France), le cancer du sein a suscité de très nombreuses études. Le rôle de l’alcool, soupçonné depuis des années, fut affirmé dans une méta-analyse de cinquante-trois études en 2002[2]. Le risque relatif de cancer du sein était augmenté de 50 % pour une dose d’alcool de 50 g par jour.
L’étude anglaise précédemment citée[3] portait sur 1 280 926 femmes qui furent suivies durant 7,2 ans. Une augmentation de 13 % du risque relatif pour une consommation modérée comprise entre sept et quatorze verres par semaine fut observée. Sachant que l’incidence annuelle du cancer du sein (le nombre de nouveaux cas) dans cette étude était de 308 sur 100 000 femmes, la croissance du risque concernait donc, par an, quarante femmes sur 100 000. Dans une publication antérieure[4], concernant les populations de dix pays européens dont la France, et portant sur 274 688 femmes suivies durant 6,4 ans, l’incidence annuelle (cancers invasifs et non invasifs) était de 299 sur 100 000 et la croissance du risque relatif était de 10 % pour les femmes qui consommaient de 10 à 19 g par jour soit un risque accru pour trente femmes sur 100 000. Si l’on en croit une autre étude[5], l’augmentation du risque lié à l’alcool concernerait principalement les tumeurs possédant des récepteurs aux œstrogènes et à la progestérone.
Au total, une augmentation du risque de cancer du sein chez les femmes qui consomment modérément de l’alcool semble réelle mais la place de l’alcool par rapport à d’autres risques est modeste.
Par exemple, les femmes qui ont un taux sanguin élevé d’acides gras trans- mono insaturés en raison d’une forte consommation de certains aliments industriels (viennoiseries, pizzas, pâtisseries) ont, comparativement aux femmes dont le taux sanguin est faible, un risque plus élevé de 76 % d’être atteintes d’un cancer du sein[6].
D’autres facteurs de risque, liés aux modes et aux choix de vie, plus rarement signalés, pourraient avoir une valeur égale ou supérieure :
- Les traitements hormonaux substitutifs lors de la ménopause accroissent après cinq années de traitement le risque de 20 %[7].
- L’excès de poids augmenterait le risque de 20 %.
- Une grossesse tardive accroîtrait le risque de 20 à 80 %.
- Chaque année d’allaitement réduit le risque de 5 %.
- L’activité physique après la ménopause diminue le risque de cancer de 20 %[8].

Les autres cancers

  • Le risque des cancers des voies aérodigestives supérieures serait multiplié par trois pour une consommation de 50 g par jour[9]. Cependant l’étude anglaise précédemment citée met en doute ce risque chez les femmes qui consomment modérément de l’alcool et qui ne fument pas[10].
  • Une alcoolisation modérée diminuerait l’incidence des cancers de la thyroïde, du rein et des lymphomes.
  • Parfois les effets de l’alcool peuvent être dissemblables chez les hommes et les femmes. Ainsi la consommation d’alcool favoriserait le développement d’un cancer rectocolique chez l’homme mais non chez la femme[11].
  • L’alcoolisation peut avoir au niveau d’un organe des effets divergents, par exemple une faible consommation réduit chez la femme l’incidence des cancers de l’oesophage liés à des adénocarcinomes mais accroît la fréquence des tumeurs épidermoïdes[12].
  • Enfin les effets de l’alcool sur les cancers du pancréas, du poumon, du corps utérin de la prostate, de l’ovaire, de l’estomac sont controversés[13].

Conclusion

L’alcoolisation serait, en France, associée à une incidence accrue des cancers chez la femme de 4,5 % et chez l’homme de 10,8 %[14]. Soit dans une population âgée de plus de 25 ans une incidence annuelle de vingt-six cas par an pour 100 000 femmes et de quatre-vingt-quinze cas pour 100 000 hommes.
Une autre étude attribue à l’alcool 5,2 % des cancers dans le monde chez les hommes et 1,7 % chez les femmes. L’alcool serait responsable de 3,5 % de la mortalité mondiale liée aux cancers[15]. En Europe occidentale, l’alcool serait à l’origine de 6,5 % des cancers chez les hommes et de 3,8 % chez les femmes. Avec ces données, l’incidence annuelle des cancers liés à l’alcool serait de vingt et un cas pour 100 000 femmes de plus de 25 ans et de cinquante-sept cas chez les hommes.
Pour évaluer l’importance en santé publique de ce constat, rappelons quatre faits :
1• L’incidence des cancers dans la population féminine en France était en 2005 de 136 000. Le taux d’incidence pour 100 000 femmes, de plus de 25 ans était de 587. Dans la population masculine, l’incidence des cancers était de 184 000. Le taux d’incidence chez les hommes âgés de plus de 25 ans était de 880 pour 100 000[16]. Ces chiffres permettent d’évaluer à sa juste valeur la croissance du risque de cancer sous l’effet d’une consommation modérée d’alcool.
2• Constater une discrète augmentation de l’incidence de certains cancers dans une population consommant modérément de l’alcool ne signifie pas qu’il existe une relation de cause à effet entre cette consommation et la survenue d’un cancer. Toutes les études qui retrouvent cette association sont des études d’épidémiologie observationnelle et non des études d’épidémiologie expérimentale ou d’intervention qui sont, dans ce cas, impossibles à réaliser. Ces études supposeraient en effet un tirage au sort dans une population homogène sur un ensemble de facteurs médicaux, biologiques, sociaux, économiques et d’environnement, afin de constituer deux groupes, l’un consommant de l’alcool et l’autre non. Le suivi de ces deux groupes durant des années permettrait sans doute d’établir l’existence ou non d’une relation causale entre l’alcoolisation et l’état de santé. En l’absence de ces études expérimentales, il est possible de soupçonner fortement mais non d’affirmer une relation de cause à effet entre la consommation modérée d’alcool et une augmentation de l’incidence des cancers. Faute de ces études, les biologistes ont cherché à établir une relation causale entre l’alcoolisation et le risque de cancer par des expérimentations animales qui sont souvent en faveur de cette hypothèse.
Néanmoins extrapoler les résultats observés chez les rats à l’homme comporte toujours une part d’incertitude.
3• Si, comme c’est probablement le cas, l’alcool est cancérigène, ce risque peut différer d’une boisson alcoolique à une autre en raison de la composition différente des substances associées à l’alcool. Une même quantité d’alcool consommée sous forme de vin, de bière ou de spiritueux peut avoir des effets cancérigènes différents. Certaines études tendent à montrer que le vin, en raison sans doute des polyphénols et du resvératrol qui entrent dans sa composition, ne serait pas, à doses modérées, cancérigène.
4• Les modes de consommation des boissons alcooliques, par exemple au cours des repas ou non, de manière modérée et quotidienne ou excessive et intermittente, ont très probablement des effets cancérigènes différents.

Références

[1] Allen NE et al. “Moderate alcohol intake and cancer incidence in women”. J Natl Cancer Inst 2009 ; 101 : 296-305.
[2] Hamajima N et al. “Alcohol, tobacco and breast cancer – collaborative reanalysis of individual data from 53 epidemiological studies, including 58 515 women with breast cancer and 95 067 women without the disease”. Br J Cancer 2002 ; 87 : 1234-1245.
[3] Allen NE et al. “Moderate alcohol intake and cancer incidence in women.” J Natl Cancer Inst 2009 ; 101 : 296-305.
[4] Tjonneland A et al. “Alcohol intake and breast cancer risk : The européan prospective investigation into cancer and nutrition”. Cancer Causes Control 2007 ; 18 : 361-373.
[5] ZHANG SM. “Alcohol consumption and breast cancer risk in the women’s health study”. Am J Epidemiol 2007 ; 165 : 667-76.
[6] Chajes V et al. “Association between serum trans–monoinsatured fatty acids and breast cancer risk in the E2N-Epic Study”. Amer J Epidemiol 2008 ; 167 : 1312-1320.
[7] Les travaux de la Caisse nationale d’assurance-maladie ont montré que la réduction de la prescription des traitements hormonaux substitutifs a conduit, pour la première fois depuis vingt ans, à une diminution de l’incidence de ces cancers, qui atteignait 8 % entre 2004 et 2006, alors qu’entre 2000 et 2006 le nombre des dépistages avait augmenté de 335 %, ce qui aurait dû accroître l’incidence de ce cancer. Allemand H et al. “Baisse de l’incidence des cancers du sein en 2005 et 2006 en France : un phénomène paradoxal.” Bull Cancer 2008 ; 95 : 11-5. Cette analyse est conforme aux données enregistrées en Australie, aux États-Unis, et au Royaume-Uni. Roberts H. “Reduced use of hormones and the drop in breast cancer”. BMJ 2009 ; 338 : b2116.
[8] Mahomey M C et al. “Opportunities and strategies for breast cancer prevention through risk reduction”. CA Cancer J Clin 2008 ; 58 : 347-371.
[9] IARC. “Carcinogenicity of alcoholic beverages”. The Lancet Oncology 2007 ; 8 : 292-293.
[10] Allen N E et al. “Moderate alcohol intake and cancer incidence in women”. J Natl Cancer Inst 2009 ; 101 : 296-305.
[11] Danaei G et al. “The preventable causes of  death in the United States : Comparative risk assessement of dietary, lifestyle and metabolic factors”. PLOS Medicine 2009 ; 6 :1-23.
[12] Allen NE et al. “Moderate alcohol intake and cancer incidence in women”. J Natl Cancer Inst 2009 ; 101 : 296-305.
[13] Institut national du cancer, Alcool et risque de cancers, novembre 2007.
[14] Grünfeld J.-P., Rapport au président de la république. Recommandations pour le plan cancer 2009-2013, 14 février 2009, page 49.
[15] Boffeta P et al. “The burden of cancer attribuable to alcohol drinking”. Int J Cancer 2006 ; 119 : 884-887.
[16] http://www.invs.sante.fr/surveillance/cancers/estimations_cancers/default.htm

Commentaire

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Par Jardinier | le vendredi 14 novembre 2014
Considérer le cancer parmi les autres causes de maladie

Il faut de plus ne pas considérer isolément le cancer des autres maladies, et voir globalement les effets des boissons alcoolisées.
Ainsi, une étude récente sur le TAUX DE SURVIE après un cancer du sein a montré que boire un verre par jour l'augmentait significativement, malgré une légère hausse de récidive de cancer : en effet, la baisse de la mortalité pour causes cardio-vasculaires le compensait très largement.