Un nouveau livre montre que le dépistage par mammographie n’a pas fait baisser la mortalité et qu’il peut être néfaste. Il faut, dit son auteur le Dr Bernard Duperray, y renoncer et s’interroger sur la vraie nature du cancer.
En France, les femmes de 50 à 74 ans, sans symptômes ni facteurs de risque particuliers de cancer du sein, (autre que leur âge) sont invitées à passer une mammographie tous les deux ans.
Pourtant, les études s’accordent depuis plusieurs années pour montrer que le dépistage organisé n’a pas eu d’influence sur l’espérance de vie, ce qu’on appelle la mortalité toutes causes. Pour quelles raisons ? Faut-il poursuivre un tel programme ? Quelle information transmettre aux femmes?
C’est pour tenter de répondre à ces questions qu’en janvier 2017, j’ai contacté le Dr Cécile Bour, de l’association
Cancer Rose, très active dans l’information objective des femmes sur le dépistage. Nous avons commencé d’évoquer l’intérêt de publier un livre sur le dépistage, et les questions que pose immanquablement son bilan aux autorités sanitaires et à chaque femme.
Après plusieurs mois d’échanges et de travail entre un petit groupe de contributeurs spécialistes et la direction éditoriale de notre maison d’édition, c’est finalement le Dr Bernard Duperray qui a entrepris l’écriture
du livre, synthétisant plus de 40 ans d’expérience et de connaissances sur cette maladie et sur le dépistage organisé qui devait la rendre moins mortelle.
Un invité surprise au dépistage : le surdiagnostic
Ce livre dresse le constat d’une mesure de santé publique mise en échec, et tente d’en comprendre les raisons. Parmi elles, figure bien sûr le surdiagnostic, c’est-à-dire la détection par mammographie chez une femme en bonne santé, d’une lésion qui n’aurait entraîné ni symptôme ni décès.
En effet, si la mammographie peut identifier des cancers potentiellement mortels, permettre leur traitement et améliorer la survie de nombreuses femmes, elle détecte dans le même temps de nombreux cancers qui seraient restés asymptomatiques, des cancers qui progressent peu ou pas et ne présentent pas de danger.
On en rencontre parmi les carcinomes canalaires in situ (CCIS) - mais pas uniquement.
L'incidence du CCIS a augmenté considérablement depuis la mise en œuvre des programmes de dépistage. Par exemple, elle est passée aux Etats-Unis de 1,87 cas pour 100 000 habitants dans les années 1970 à 32,5 cas pour 100 000 habitants en 2004. Au Royaume-Uni, elle a augmenté d'environ 40 % par rapport à la progression naturelle estimée.
Or, si des cancers du sein comme les CCIS sont détectés par le dépistage organisé, l'incidence des cancers invasifs aurait dû diminuer dans les mêmes proportions. Pourtant, un tel bénéfice n’a pas été observé, ce qui suggère qu'il existe un surdiagnostic des lésions à croissance lente, celles qui peuvent ne pas nécessiter de traitement.
Un tel surdiagnostic concernerait plus d’un cancer sur cinq, ce qui signifie que de nombreuses femmes à qui on a diagnostiqué un cancer du sein à la suite d’une mammographie de dépistage, seraient restées asymptomatiques et en bonne santé si elles n’avaient pas eu de mammographie.
Repenser la maladie et ses critères
« Vouloir anticiper la maladie pour éviter son développement et mieux en guérir sans disposer de critères fiables a conduit des femmes bien portantes à vivre à cause du dépistage une maladie à laquelle elles auraient échappé sans lui. »
Le surdiagnostic peut entraîner des problèmes de santé chez une personne qui jusqu’ici n’en avait pas. L’annonce d’une maladie comme le cancer, et des traitements qu’il faudra subir conduisent à un niveau élevé de stress et d’anxiété qui peut se manifester par des troubles physiques et psychiatriques sérieux. Les traitements peuvent aussi avoir des effets indésirables.
Le bilan du dépistage organisé conduit donc à s’interroger sur la nature même du cancer. La mammographie de dépistage chez des femmes en bonne santé, sans symptômes, est fondée sur l’idée qu’un cancer invasif progresse inévitablement, quasi-linéairement, à partir d’une petite lésion, et que plus tôt on l’identifie et on le traite, plus on fait baisser la mortalité. En fait, écrit le Dr Duperray, « petit ne signifie pas automatiquement précoce. »
La théorie qui sous-tendait la mise en place du dépistage organisé n’est aujourd’hui pas validée. Il faut donc abandonner ce programme tel qu’il est appliqué aujourd’hui, et reconsidérer la nature même du cancer, comme le Dr Duperray invite à le faire. Certains cancers n’évoluent pas. D’autres régressent. D’autres encore connaissent une progression foudroyante. « Vouloir dépister sans savoir répondre à la question : « à partir de quand est-on malade ? » conduit inévitablement au surdiagnostic », écrit-il.
Une démarche personnelle et réfléchie
Le dépistage organisé à l’échelle d’une population est un processus coûteux qui, dit-il, fait plus de mal que de bien. Les femmes doivent en être informées. En présence de symptômes, des examens approfondis sont nécessaires. Mais en l’absence de symptômes et de facteurs de risque, la décision de se faire dépister ou pas devrait prendre en compte les bénéfices potentiels, mais aussi les risques de surdiagnostic et de surtraitement. Dans son livre, le Dr Duperray dresse d’ailleurs la liste des questions à poser à son médecin pour prendre une décision réfléchie.
Jusqu’ici, malheureusement, tant les pouvoirs publics que les associations de lutte contre le cancer et les sociétés qui prospèrent sur le marché du diagnostic, ont eu tendance à exagérer les bénéfices du dépistage et à passer sous silence, voire nier, les risques qu’il représente.
Ce livre, extrêmement documenté, illustré de nombreux cas réels, apporte la preuve que le discours sur le dépistage doit impérativement changer.