"Un aliment enrichi est certainement un faux aliment"

"Un aliment enrichi est certainement un faux aliment"

Dans son nouveau livre, Pourquoi tout compliquer ? Bien manger est si simple, Anthony Fardet accuse la science de la nutrition d'avoir semé la confusion en réduisant la qualité des aliments à celle de leurs constituants – protéines, glucides, graisses, fibres ou vitamines –, les nutritionnistes ont oublié l’essentiel : ce n’est pas ce que contient l’aliment qui importe le plus, mais les transformations qu’on lui a fait subir. Extrait.

Lorsque l’on fait ses courses au supermarché, on ne sait plus à quel saint se vouer. Avezvous remarqué la diversité de l’offre pour un seul et même type d’aliment, par exemple les desserts lactés ou les céréales du petit déjeuner ? Je me suis amusé à compter le nombre de références de céréales pour enfants dans le supermarché voisin : 44 ! Cela va des simples pétales de maïs aux céréales fourrées au chocolat et au caramel, en passant par les grains de riz soufflé. Les céréales sont un exemple emblématique expliquant la perte de nos repères nutritionnels, c’est-à-dire notre difficulté à savoir si tel aliment est sain ou pas.

Manger des céréales le matin est-il bon pour la santé ?

Je pose régulièrement cette question à mon auditoire dans le cadre de mes conférences, et bien souvent on me répond : « Oui, du moment qu’elles sont riches en fibres » ou bien « Oui du moment qu’elles ne sont pas trop sucrées ». Ces réponses reflètent ce que la plupart des gens pensent, à savoir qu’un aliment est sain s’il contient de « bons » nutriments, en l’occurrence, des fibres. En réalité, ce n’est pas ce que l’aliment contient qui est le plus important, ce sont les transformations qu’on lui a fait subir.

Pour illustrer cet état de fait, l’histoire des céréales du petit déjeuner est édifiante. Les céréales du petit déjeuner ont fait irruption dans notre paysage alimentaire lorsqu’on a cherché à remplacer le pain traditionnel par d’autres céréales, plus attractives, avec des bienfaits nutritionnels que l’industrie présente alors comme optimisés pour la santé. Ils mettent au point une multitude de procédés de fabrication qui leur permettent de produire des céréales de toutes les formes et de toutes les couleurs. L’innovation marquante est la cuisson-extrusion. L’industriel forme une pâte avec de la farine, des matières grasses, du sucre, du sirop de glucose… Cette pâte est ensuite soumise à l’action conjuguée de hautes températures et de hautes pressions pour obtenir des céréales de formes originales. Ainsi, beaucoup ne sont plus de simples grains de céréales aplatis, mais des céréales façonnées à partir de farine raffinée et de sucre. Et lorsqu’arrive la mode des aliments fonctionnels, c’est-à-dire des aliments enrichis en nutriments supposés protecteurs pour la santé, les industriels décident d’ajouter à la mixture des fibres, des vitamines et des minéraux. De telles céréales répondent à la définition d’aliment ultra-transformé. Consommées tous les matins, elles ont un effet délétère. Comme tous les aliments ultra-transformés dès qu’ils sont consommés en excès, elles sont associées à un risque plus élevé de maladie chronique et de mortalité précoce. Elles sont un pur produit du « réductionnisme alimentaire ». En science de l’alimentation, le réductionnisme consiste à voir l’aliment comme une somme de nutriments, à assimiler son potentiel santé à celui de ses composants. Autrement dit, on considère qu’un aliment est sain s’il est « équilibré » en quelques nutriments. Peu importent les transformations que cet aliment a subies. (…)

L’ère du réductionnisme nutritionnel

On a réduit l’alimentation à la science des nutriments, ce qu’on appelle la nutrition. Une nutrition d’abord bénéfique, mais qui a fini par se déconnecter de l’aliment et de sa complexité. Cette dérive réductionniste a des conséquences terribles en matière de santé publique. Le réductionnisme nutritionnel a eu de profonds effets sur toute la sphère alimentaire. Il a façonné non seulement la recherche, mais aussi les politiques de santé publique (recommandations nutritionnelles), l’étiquetage des aliments (le Nutri-Score, par exemple), et le marketing associé, essentiellement fondé sur la promotion de quelques nutriments présumés sains. Il a également influencé les procédés de transformation alimentaire, comme nous venons de le voir avec les céréales du petit déjeuner, ce qui a engendré les aliments ultra-transformés. En effet, si l’aliment est vu seulement comme une somme de nutriments, il devient envisageable – et intéressant économiquement – de fractionner les denrées alimentaires afin d’en séparer les nutriments. Il ne restera plus qu’à recombiner ces nutriments selon une recette donnée et à former des aliments supposés sains, dont il sera facile de vanter les qualités nutritionnelles.

Prenons l’exemple des Chocapic, l’un des blockbusters de Nestlé. Ces céréales sont fabriquées à partir de farine de blé complet. Pour un expert en nutrition « réductionniste », la farine de blé complet est un aliment riche en amidon et en fibres. L’amidon est un glucide complexe, qui en théorie se digère lentement et fournit de l’énergie longue durée au cerveau. C’est l’ingrédient idéal pour bien démarrer la journée. Pour rendre ce blé plus gourmand et attrayant aux yeux des enfants, on lui ajoute du chocolat et un peu de sucre. Mais l’excès de sucre étant mauvais pour la santé, le fabricant devra avoir la main légère s’il veut que son produit reste « sain ». Et c’est ce que Nestlé a fait. Bilan : un groupe d’experts en nutrition réductionnistes a décerné un Nutri-Score B au Chocapic. Lorsqu’on s’intéresse à ces céréales dans leur ensemble, avec une approche holistique et non réductionniste, que l’on analyse non seulement leur composition, mais aussi toutes les étapes de fabrication et en particulier la transformation du grain de blé (réduction en farine, cuisson-extrusion), on comprend que le blé a subi de tels traitements mécaniques et thermiques que son amidon a été hautement transformé. Ça n’est plus un glucide complexe qui fournit de l’énergie longue durée. Ce qui, en théorie, était un aliment sain, idéal pour le petit déjeuner des enfants, se trouve être en réalité… une bombe de sucre, enrichie en vitamines certes, mais une bombe de sucre tout de même. (…) Même si cet aliment peut couvrir une partie de leurs besoins en micronutriments, il ne les préserve ni du diabète ni de l’obésité.

L’exemple des céréales du petit déjeuner pour enfants est édifiant. Il montre que la composition nutritionnelle d’un aliment est insuffisante pour déterminer si un aliment est sain ou pas. Ce qui compte, c’est la nature de la matrice alimentaire dans laquelle sont emprisonnés ces nutriments. Dès lors que cette matrice est ultra-transformée, le potentiel santé de l’aliment, et des nutriments qu’il contient, est altéré.

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