Sport, santé et performance, le blog du Dr Fabrice Kuhn

  Les secrets d'un médecin qui pratique le triathlon ironman, le marathon et l'ultratrail et qui a écrit Paléofit, pour booster vos performances

Par Fabrice Kuhn
Blog

La musculation au service du coureur à pied

La musculation au service du coureur à pied

Les études montrent que le coureur à pied peut bénéficier de séances de musculation. Décryptage des bénéfices attendus, des explications physiologiques et mise en pratique.

Lors d'un article récent, j'avais abordé le rôle favorable que pouvait avoir la musculation pour le cycliste. Il peut paraître encore plus étrange aux coureurs qu'aux cyclistes d'intégrer de la musculation dans leurs programmes. Nous ne parlons pas ici de la musculation du tronc (comme le gainage par exemple), mais bien de la musculation des membres inférieurs, ceux utilisés lors de la course à pied. Dans cet article, grâce à une revue de littérature (1), je vais envisager le bénéfice que les coureurs pourraient tirer de la musculation et les éventuels risques pour la performance. On notera quelques différences entre la course à pied et le cyclisme au niveau des bénéfices et des méthodes.

Les arguments utilisés contre l'intérêt de la musculation sont les mêmes que ceux utilisés par les cyclistes. Les coureurs ont peur de prendre du poids (poids qu'il faut bien transporter à l'effort). Ils avancent, aussi, le manque de spécificité de la musculation. Enfin, le manque de temps disponible freine certains coureurs dans l'intégration de la musculation lors de leur pratique.

Effets d'un programme de musculation sur les indicateurs de la performance en endurance

Trois principaux indicateurs de la performance sont individualisés dans la course à pied d'endurance. Il s'agit de la VO2max (consommation maximale d'oxygène), de l'économie de course et du seuil lactique.

Que ce soit chez les coureurs ou chez les triathlètes, l'entraînement de la force n'a pas démontré d'effets bénéfiques sur la consommation maximale d'oxygène (VO2max) si les séances de qualité du coureur sont conservées. Cependant, aucune altération des performances n'a été remarquée lors des études.

L'économie de course, qui correspond à la consommation d'oxygène pour une vitesse donnée, est un facteur important dans la performance lors des épreuves d'endurance. Plusieurs études rapportent une amélioration de l'économie de course après l'ajout d'un programme de musculation de 6 à 14 semaines à un entrainement classique de course en endurance. Deux méthodes peuvent être utilisées pour obtenir ce bénéfice : la plyométrie (contraction excentrique immédiatement suivie d'une contraction concentrique par exemple lors des sauts de grenouille) ou bien la musculation à l'aide de charges lourdes. Les programmes ayant montré leur efficacité nécessitent 2 à 3 séances de musculation par semaine. Contrairement au cyclisme où seule la musculation à l'aide de charges lourdes a été bénéfique, musculation par charges lourdes ET plyométrie ont montré leur bénéfices sur l'économie de course.

Bien que les études n'aient pas révélé d'augmentation du seuil lactique, quelques études ont montré un accroissement de la vitesse au seuil lactique après entraînement de la force. Le type de méthode d'entraînement de la force (utilisation de charges lourdes ou utilisation de la plyométrie) importe peu. Cette amélioration du seuil pourrait être en rapport avec une amélioration de l'économie de course. En outre, aucune étude n'a démontré de baisse du seuil après adjonction de séance de musculation à un entrainement en endurance.

La VMA (vitesse maximale aérobie) peut, quant à elle, progresser après un entraînement combinant entraînement en endurance et en force (méthode par charges lourdes ou plyométrie).

L'entraînement en musculation peut aussi améliorer les capacités anaérobies du coureur (utiles lors d'un sprint final par exemple).

Effets d'un programme de musculation sur la performance

Que ce soit l'entraînement plyométrique ou l'entrainement avec des charges proches du maximum, l'association musculation et entraînement en endurance peut améliorer les performances en endurance. Malheureusement, les études n'ont analysé les performances que sur des efforts courts (5 km, 3 km et temps maximal d'effort à VMA). Bien sûr, l'association amélioration de la VMA et amélioration de l'économie d'énergie laisse envisager une amélioration des performances sur des efforts plus longs.

Quels sont les mécanismes pouvant expliquer les effets bénéfiques d'un entrainement de la force ?

Avant tout, notons que pour la course à pied et contrairement au cyclisme, l'entraînement en force maximale et la plyométrie sont tous deux bénéfiques. L'une des différences majeures entre la course à pied et le cyclisme est le caractère excentrique de la course à pied. Cela signifie qu'à chaque foulée les muscles des membres inférieurs vont exercer une contraction musculaire tout en s'allongeant pour amortir le poids du corps. Cette contraction excentrique est bien plus traumatisante musculairement qu'une contraction concentrique (en raccourcissement) ou isométrique (statique). Cela explique la plus grande fréquence des courbatures après la course à pied qu'après le cyclisme. La plyométrie utilise ce type de contraction et se rapproche donc de la course à pied pouvant expliquer son intérêt chez le coureur et non chez le cycliste.

De plus, l'entraînement de la force pourrait renforcer la rigidité du système musculo-tendineux avec pour conséquence l'amélioration de l'économie de course en apprenant à utiliser plus efficacement l'énergie élastique emmagasinée à chaque foulée.

Par ailleurs, l'entraînement de la force pourrait permettre une adaptation des fibres musculaires avec soit accroissement de la force et de l'endurance des fibres musculaires de type 1 (les fibres de l'endurance), soit accroissement du pourcentage de fibres de type 2A au détriment des fibres 2B (les fibres 2A sont moins fatigables et plus endurantes, les fibres 2A et 2B sont les fibres musculaires de la force et de la vitesse). L'entraînement de la force pourrait, aussi, permettre une amélioration la stimulation neuro-musculaire.

L’entraînement en force peut-il avoir des effets négatifs sur la performance ?

La prise de poids est le premier risque qui est envisagé par de nombreux coureurs car pensent-ils, tout poids excédentaire peut devenir un fardeau. Toutes les études s’accordent pour montrer l’absence de prise de poids après ajout de séances de musculation à un programme d'endurance. En effet, l’entraînement en endurance favorise des modifications moléculaires qui vont limiter la synthèse de protéines musculaires qui devrait suivre un entrainement en force.

Aucune baisse de la VO2max et aucune baisse du seuil lactique n’ont été observées. La capillarisation musculaire n’a pas subi de diminution.

Aucun impact négatif de l'entraînement en force n'a été remarqué si les séances classiques d'un entraînement en endurance sont conservées.

Comment intégrer la musculation dans un programme d'endurance ?

S'il veut améliorer ses performances, le coureur d'endurance aura tout intérêt à remplacer une partie de son entraînement en endurance par des séances de musculation ou bien à ajouter à son entraînement des séances de musculation. Bien sûr, ceci n'est valable que pour les sportifs qui courent au moins 3 fois par semaine. Pour les sportifs disposant de moins de 3 séances par semaine, mieux vaut ne faire que de la course ou bien ajouter quelques exercices de plyométrie lors d'une ou deux séances dans la semaine. Ce programme de musculation trouve toute sa place en hiver afin de préparer la saison printanière et estivale. Cela permet d'intégrer progressivement la musculation et même de profiter du mauvais temps pour réaliser ces séances à l'intérieur remplaçant ainsi des séances de course pénibles à passer lorsque le climat est trop mauvais. Idéalement, le programme comportera 2 à 3 séances de musculation par semaine sur une durée minimale de 6 semaines. Après cette phase de développement de la force et à l'approche des compétitions, le coureur devra rendre son entraînement de plus en plus spécifique mais sans abandonner l'entraînement de la force en gardant une séance hebdomadaire.

Le coureur pourra utiliser la méthode avec charges lourdes ou bien la plyométrie. La plyométrie présente l'avantage de nécessiter beaucoup moins de matériel ce qui la rend accessible à tous. En outre, la plyométrie utilise des mouvements fonctionnels proches de la réalité faisant travailler un grand nombre de muscles à chaque mouvement sans les isoler les uns des autres. Le programme visera à faire travailler les muscles de la course à pied : quadriceps, ischio-jambiers et mollets.

Les deux méthodes doivent débuter par 2 à 3 semaines d'apprentissage du geste technique et de montée en charge progressive. Cette mise en route est suivie du réel programme de développement de la force qui se fait avec 2 à 3 séances par semaines en association avec l'entraînement en endurance.

Programme de musculation par charges lourdes

Plusieurs protocoles ont étés testés :

- 3 à 5 séries de 3 à 5 répétitions de 90% de la charge maximale (1 RM*)

- 3 séries de 6 répétitions de 85% de la charge maximale (1 RM*)

- 4 séries de 4 répétitions maximales

Dans tous les cas 2 à 3 mn de récupération entre chaque série.

Programme de musculation par plyométrie

La plyométrie consiste en l'enchaînement d'une contraction excentrique puis d'une contraction concentrique en un temps le plus bref possible. Pour cela, on peut faire des sauts de grenouille, des sauts réactifs (saut d'un support (50 cm de haut par exemple) suivi d'un saut vertical), des sauts sur une jambe, des sauts de haies, des sauts verticaux... Il est possible d'ajouter des charges lors des sauts.

Les protocoles utilisés vont de 30 à 200 sauts par séance avec  5 à 20 répétitions par série.

En conclusion

Le remplacement  de certaines séances d'endurance par des séances de musculation (et même l'ajout éventuel de séances de musculation) en suivant un protocole bien établi peut permettre d'améliorer les performances dans les épreuves de course de fond ou de grand fond, d'ultra. Mais il ne faudra pas oublier les séances de course à pied de qualité (VMA) et les séances longues. Toutes ces séances agiront en synergie. Ayant utilisé ce genre de protocole, je suis convaincu de son intérêt dans ma préparation, non seulement pour les performances mais aussi pour le plaisir de varier l'entraînement. De plus, l'utilisation de la plyométrie m'a permis de grandement limiter les courbatures après les compétitions que ce soit sur trail, sur marathon ou sur triathlon.

(1) Rønnestad BR, Mujika I. Optimizing strength training for running and cycling endurance performance: A review. Scand J Med Sci Sports. 2013 Aug 5.

* 1 RM : 1 répétition maximale, charge maximale qu'on peut soulever une fois

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à propos de l'auteur

Le Dr Fabrice Kuhn est médecin généraliste, diplômé en biologie et médecine du sport. Il est médecin des équipes de France d'haltérophilie. Il pratique le triathlon ironman, le marathon et l'ultratrail.

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