Sport, santé et performance, le blog du Dr Fabrice Kuhn

  Les secrets d'un médecin qui pratique le triathlon ironman, le marathon et l'ultratrail et qui a écrit Paléofit, pour booster vos performances

Par Fabrice Kuhn
2 modèles s'affrontent

Fatigue pendant la pratique sportive : la théorie du gouverneur central

Fatigue pendant la pratique sportive : la théorie du gouverneur central

Principal facteur limitant en endurance, la fatigue du sportif est-elle liée à ses capacités cardiaques ou bien est-elle régulée par le cerveau ? Voici une théorie qui pourrait intéresser de nombreux sportifs d’endurance !

Parmi les éléments limitant les performances en endurance (triathlon, marathon, trail, ultra, cyclisme, ski de fond…), l’un des plus important est probablement la fatigue et ce, quel que soit le niveau de pratique. Depuis le début du 20e siècle, la fatigue était principalement attribuée à l’atteinte des limites cardiaques (VO2max). Dans ces conditions, le cœur ne peut plus assurer les conditions suffisantes aux muscles pour poursuivre leur effort de manière optimale ce qui provoquerait la sensation de fatigue. Appelons ce modèle « modèle de la fatigue périphérique ». Cependant, depuis quelques années Timothy Noakes, un médecin sud-africain du sport, remet en doute cette théorie et propose une autre dite du gouverneur central (« central governor model »).
La théorie de Tim Noakes place le cerveau au centre du système en tant que régulateur de l’effort. D’ailleurs certains d’entre nous peuvent y faire allusion inconsciemment en se motivant parfois en se répétant au cœur de l’effort : « Allez, c’est dans la tête ! ». Pour confirmer sa théorie, Tim Noakes s’appuie sur plusieurs phénomènes qui vont, soit à l’encontre de la théorie de la fatigue périphérique, soit en faveur de son modèle, soit les deux.

La théorie du gouverneur central

Dans le modèle du gouverneur central, le cerveau joue le rôle de régulateur de l’effort. Pour cela, le cerveau intègre et analyse à chaque seconde de multiples données (d’origines périphériques et centrales). Grâce à l’analyse de ces données le cerveau détermine l’intensité de l’effort en régulant le nombre d’unités motrices recrutées pour l’effort (une unité motrice est l’association d’un neurone et des fibres musculaires qu’il commande). Il faut savoir que le nombre d’unités motrices mises en action détermine la puissance d’un effort. Par exemple, lors de la course à pied, plus il y aura d’unités motrices recrutées plus la vitesse sera élevée. L’intérêt de cette régulation organisée par le cerveau est de pouvoir anticiper et s’adapter instantanément et en permanence de façon à accomplir l’effort demandé sans atteindre la rupture de l’équilibre physiologique de notre organisme. Le cerveau se préoccupe donc de maintenir notre équilibre vital et, pour éviter toute défaillance physiologique, il créé la  fatigue qui, selon Timothy Noakes, serait une émotion plutôt qu’un événement physique.

Les éléments gérés par le cerveau pendant l’effort

Nous l’avons vu, de nombreuses données sont intégrées et analysées en temps réel par le cerveau afin d’établir sa stratégie pour l’effort. Parmi ces données certaines sont centrales et d’autres périphériques.
Les facteurs d’origine centrale induisant une modification des performances (liste non exhaustive) :
- La musique
- Les placebos
- La confiance en soi
- Le travail mental
- L’expérience personnelle sur le même genre d’effort
- La performance attendue sur l’épreuve
- La connaissance de la distance avant le point d’arrivée
- La présence d’autres compétiteurs
- La récompense à l’arrivée
- La fatigue mentale
- La qualité du sommeil précédent l’épreuve
- L’ingestion de glucose durant l’effort
- Le refroidissement avant ou durant l’effort
- Les médicaments et drogues (caféine, amphétamines, paracétamol…)
- Les moyens de tromper son cerveau (chronomètre truqué à l’insu du sportif, rinçage de bouche avec une solution glucosée…)

Les éléments périphériques engendrant une adaptation de l’effort (liste non exhaustive) :
- La température corporelle
- Le taux d’hydratation
- L’oxygénation cérébrale
- L’état des stocks de glycogène
- Les douleurs et dégâts musculaires
- La fatigue musculaire

Les phénomènes en faveur du modèle du gouverneur

Pour conforter son hypothèse Tim Noakes s’appuie sur plusieurs phénomènes contredisant la théorie de la fatigue périphérique et supportant sa théorie du gouverneur centrale.

  • Le sprint final. Selon la théorie de la fatigue périphérique, il paraît impossible d’accélérer à la fin d’une épreuve où on a déjà été au bout de soi. Alors que si la théorie du gouverneur central est juste, le cerveau pourra « débloquer » quelques unités motrices pour accélérer en fin d’épreuve sachant que l’effort étant presque terminé il y a peu de risques de défaillance.
  • Les allures de courses variables. En fonction de l’épreuve les athlètes expérimentés peuvent réguler leur allure de course et choisir des allures variables adaptées aux circonstances. Seule la théorie du gouverneur central pourrait expliquer une telle variation dans les allures utilisées spontanément lors des épreuves.
  • L’effet des drogues. Seule la théorie du gouverneur central pourrait expliquer l’amélioration des performances engendrée par des drogues n’agissant qu’au niveau cérébral (amphétamines par exemple).
  • Le nombre d’unités motrices activées. Les études montrent que seuls 35 à 50% des unités motrices du muscle actif sont utilisées lors des épreuves d’endurance. Or, selon le modèle de fatigue périphérique, en fin d’épreuve 100% des unités motrices devraient être activées ce qui provoquerait la fatigue. Alors que selon le modèle du gouverneur central il devrait y avoir une marge de sécurité et seulement un petit pourcentage des fibres est utilisé.

En conclusion, cette théorie explique de multiples événements retrouvés quotidiennement dans notre pratique sportive. Quel sportif n’a jamais pu accélérer à la fin d’une épreuve longue et épuisante alors que quelques centaines de mètres auparavant tout effort paraissant insurmontable ? Quel sportif aguerri ne trouve pas la bonne allure de course sans y réfléchir ? Quel sportif n’a pas éprouvé plus de facilité à maintenir une intensité en compétition qu’à l’entraînement ?
De plus, ce modèle du gouverneur central est compatible avec la théorie de l’évolution puisque le cerveau se préoccupe avant tout de nous maintenir en vie. Pour cela, il anticipe les risques de défaillance physiologique et peut fournir un éventuel surplus « d’énergie » pour survivre (cas du sprint final chez nous et sprint pour échapper à un prédateur chez nos lointains ancêtres).

Que retenir ?

Cette théorie doit nous pousser à globaliser la performance et l’entraînement. Les capacités physiques ne sont pas les seules à prendre en compte et à nécessiter un entraînement. Il ne faut donc pas hésiter à utiliser et travailler les autres thèmes (préparation mentale notamment).
L’entraînement n’aurait, alors, pas comme unique bénéfice d’accroître les capacités physiques mais aussi de repousser les limites que le cerveau se fixe et donc de repousser le déclenchement de la fatigue.

Références
(1) Noakes TD. Fatigue is a Brain-Derived Emotion that Regulates the Exercise Behavior to Ensure the Protection of Whole Body Homeostasis. Front Physiol. 2012 Apr 11;3:82.
(2) Noakes TD. The Central Governor Model in 2012: eight new papers deepen our understanding of the regulation of human exercise performance. Br J Sports Med 2012;46:1-3
(3) Noakes TD. Time to move beyond a brainless exercise physiology: the evidence for complex regulation of human exercise performance.  Appl Physiol Nutr Metab. 2011 Feb;36(1):23-35.

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à propos de l'auteur

Le Dr Fabrice Kuhn est médecin généraliste, diplômé en biologie et médecine du sport. Il est médecin des équipes de France d'haltérophilie. Il pratique le triathlon ironman, le marathon et l'ultratrail.

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