Le blog de Thierry Souccar, "Amuse-gueules"

Réflexions sur la vie, la mort, et tout ce qu'il y a au milieu. 

Par Thierry Souccar
Lait et lactose

Les (souverains) poncifs sur l'intolérance au lactose

Les (souverains) poncifs sur l'intolérance au lactose

5 milliards de Terriens ne tolèrent pas le lactose. Faut-il leur faire manger du reblochon et avaler des comprimés de calcium ? On pourrait le croire en lisant la presse.

Alors que je rédige une introduction au livre (à paraître) de Rabia Combet qui propose des recettes gourmandes sans lait, voilà que je découvre un article dans l’Express sur l’intolérance au lactose.

Un petit rappel : l’intolérance au lactose, c’est l’incapacité ou la difficulté à digérer le sucre du lait. Tous les bébés sont équipés d’une enzyme, la lactase, qui leur permet de digérer le lactose du lait maternel. Mais à partir de 3-5 ans, l’expression de cette enzyme chute : nos ancêtres n’en avaient aucune utilité puisqu’ils ne consommaient plus de lait après le sevrage. Donc l’écrasante majorité de la population terrestre n’exprime plus de lactase après l’enfance. Seule une minorité de la population (Europe du Nord, Caucase, peuples d’éleveurs… et leurs descendants) a connu une mutation qui rend l’activité de la lactase persistante à l’âge adulte. Voilà pour le contexte. Maintenant, l’article.

Mon avis : la journaliste a voulu s’entourer de sources réputées fiables, la démarche est bonne, mais la lecture de Lait, mensonges et Propagande lui aurait épargné quelques mauvaises pioches et une certaine confusion. Je m’explique.

Elle cite par exemple un article paru dans la revue scientifique Hépato-Gastro & Oncologie Digestive : « Chez l'adulte sain, la perte d'expression de l'activité lactasique n'est pas une maladie, mais plutôt une évolution normale ». Bien vu : c’est la règle chez tous les mammifères comme je l'ai dit plus haut.

Mais alors pourquoi parler comme le font les auteurs (et la journaliste) « d’hypolactasie », un vocable qui, à l’instar de l’hypothyroïdie, a sa petite consonance maladive, alors que la perte d’activité de la lactase est la norme dans l’espèce humaine ? Tenez : la norme chez un enfant, c’est de distinguer nettement les objets éloignés, pas d’être myope. Faut-il pour évoquer ces enfants qui voient parfaitement bien, parler d’ « hypomyopie » ?

Ce terme d’« hypolactasie » est loin d’être anodin. Il influence le regard que portent les médecins sur la place du lait dans notre alimentation. L’hypolactasie évoquant une anomalie génétique, ce serait bien le signe qu’il est naturel de boire du lait toute sa vie et qu’il est anormal de ne pas en consommer - c'est-à-dire précisément le contraire de la réalité.

Mesdames et messieurs les journalistes, médecins et auteurs d’articles dits scientifiques, n’employez plus le terme d’hypolactasie !

C’est ici d’autant plus ennuyeux que les auteurs de l’article cité par la journaliste de L’Express, notent très justement que l’incapacité à digérer le lactose « touche environ 75 % de la population mondiale adulte. » Mais aussitôt après, la confusion est totale. Les auteurs, toujours cités par la journaliste, assurent en effet qu’en France, 10 à 30 % de la population est « hypolactasique » (sic).

Ce chiffre est faux. D’où vient-il ? En suivant les sources de ces auteurs, on tombe sur une étude… norvégienne. Normal : en Scandinavie, en effet, environ 80% de la population tolère le lactose à l’âge adulte. Mais en France, ce n’est pas le cas. On trouve une prévalence d’intolérance au lactose faible dans le nord du pays, mais pas dans le sud, où il n’y avait pas de tradition d’élevage bovin et de consommation de lait. Chez nous, au total, c’est environ 40% de la population qui ne digère pas le lait à l’âge adulte.

Passons aux symptômes de l’intolérance au lactose. Cette fois, la journaliste a pris ses informations auprès d’une diététicienne et d’un médecin gastro-entérologue. Et là encore, le compte n’y est pas. Les seuls symptômes retenus par ces spécialistes sont ceux de la sphère digestive : douleurs, ballonnements, troubles du transit. Mais si ces symptômes sont bien présents chez tous les intolérants, ils sont loin d'être isolés.

Par exemple, les maux de tête, les vertiges se rencontrent dans plus de 80% des cas, les douleurs articulaires dans plus de 70% des cas, les rhinites, sinusites dans 40% des cas, les ulcères de la bouche dans 30% des cas etc… Ce que je veux dire, c’est qu’une intolérance au lactose peut être facilement confondue avec un côlon irritable sauf si le médecin et le patient connaissent les autres manifestations et y sont attentifs. Cet article ne les renseignera pas.

Enfin, le point d’orgue est atteint lorsque le médecin et la diététicienne entonnent de concert le sempiternel aria sur les produits laitiers, le calcium et l’ostéoporose. Il n'y manque que la musique de "Nos amis pour la vie".

Loin de moi l'idée d'accabler des spécialistes qui par ailleurs font probablement bien leur travail, mais, à moins d'avoir passé les vingt dernières années reclus dans le gouffre de Padirac, comment des professionnels de santé peuvent-ils croire et faire croire encore qu'il faut manger des laitages pour prévenir les fractures ?

Pour le médecin, « limiter certains fromages réduira les apports en calcium et augmentera les risques d'ostéoporose ». Ce médecin s’est-il seulement demandé par quel miracle les deux tiers de la population terrestre qui ne consomment pas de fromage n’ont pas d’ostéoporose ?

La diététicienne n'est pas en reste : « Si on a une intolérance sévère, dit-elle, (…) on peut mettre en place une supplémentation en calcium et en vitamine D, voire en phosphore et en vitamine A. » Et pourquoi pas, tant qu’on y est, en estrogènes et en progestérone, deux hormones présentes dans le lait de vache ? 

Mais revoilà le calcium : « Si l'intolérance est plus modérée, poursuit-elle, je conseille de conserver au moins un yaourt ou un morceau de fromage par jour, pour les apports en calcium. Ce dernier est présent dans les fruits et légumes - mais dans des quantités moindres - ou dans les amandes, qui sont très caloriques ».

Moins de calcium dans les végétaux (voir ici la réalité), des amandes trop caloriques (voir la réalité ici), des produits laitiers anti-ostéoporose (voir ici la réalité) et les intolérants au lactose, soit 5 milliards de Terriens, contraints d’avaler du comté ou des comprimés de calcium et phosphore… Hum, comment dire ?

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à propos de l'auteur

Journaliste scientifique, auteur de 19 livres de vulgarisation sur la santé, fondateur de Thierry Souccar Editions. En charge des questions de santé à Sciences et Avenir pendant 15 ans, il a créé LaNutrition.fr, premier site d’information francophone indépendant sur l’alimentation et la santé. Membre de l'American College of Nutrition/American Nutrition Association depuis 2000. C'est un passionné d'histoire des arts et des sciences, de paléontologie, peinture, aviation légère, littérature, musique. Il vit, écrit et peint dans le midi de la France. Il a deux fils, Paul et Louis. 

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