Le blog de Thierry Souccar, "Amuse-gueules"

Réflexions sur la vie, la mort, et tout ce qu'il y a au milieu. 

Par Thierry Souccar
Gluten : dommages collatéraux

Faut-il avoir peur du gluten ? Ou des médias qui en parlent?

Faut-il avoir peur du gluten ? Ou des médias qui en parlent?

Quand un magazine titre "Faut-il avoir peur du grand méchant gluten ?", il faut se préparer au pire.

Finalement, l’article que le Nouvel Observateur préparait sur le gluten est paru hier 11 septembre. Pour cet article, finement intitulé Faut-il avoir peur du grand méchant gluten ?, la journaliste voulait interroger Julien Venesson, auteur de Gluten, comment le blé moderne nous intoxique. Mais il a décliné la proposition après avoir compris qu’il ne pourrait pas relire les propos qui lui seraient attribués. Je lui ai dit qu’il avait bien fait. C’était avant la parution de l’article. Maintenant qu’il est publié, je persiste à penser qu’il a eu raison de se tenir à l'écart de cette entreprise.

L’article du Nouvel Observateur n’a aucun intérêt. Ce n’est certes pas le pire des articles sur le gluten, mais il n’apporte strictement rien à la compréhension de la question « gluten » par le lecteur néophyte.

L’article lui-même a un « angle », ou si vous voulez, un parti-pris. Je connais bien la maison, je veux dire l’Obs, puisque j’y ai travaillé. L’article sent à plein nez la réunion de rédaction où on se dit qu’on ne va pas passer à côté d’un sujet de société, mais bon on va pas y consacrer un cahier entier, tu nous fais ça sur deux-trois pages, OK ?

A ce niveau d’investigation, transpire nécessairement la conviction de la journaliste elle-même, ou du rédacteur-en-chef, pour qui, on le sent, le gluten oui, c’est peut-être pas génial pour quelques uns, mais bon maintenant ça devient du n’importe quoi, ma voisine de palier est au sans-gluten, c’est la mode, et quel business pour les produits sans gluten ! Saupoudrez ce propos d'exemples bien sentis et des réflexions profondes de quelques experts (j’y reviens) et voilà.

Qu’on ne se méprenne pas. Je ne jette la pierre ni à la journaliste qui a écrit cet article, ni au journal qui l’a publié. Une rédaction et ses journalistes sont capables, selon les circonstances, du pire comme du meilleur. Comme du tiédasse.

Le versant scientifique de l’article de l’Obs est réduit à la portion congrue. S’il identifie correctement la sensibilité au gluten, c’est pour en minimiser aussitôt l’impact en précisant que « c’est la porte ouverte à tous les fantasmes hypocondriaques. »

Il y a des erreurs. Un médecin interrogé sur cette sensibilité au gluten assure que la personne qui élimine le gluten de son alimentation, élimine aussi les Fodmaps (Fermentable, Oligo-Di-Mono-saccharides And Polyols, des sucres non digestibles qui pourraient favoriser une irritabilité du côlon) ; conclusion : si elle va mieux, elle pense que c’est parce qu’elle a éliminé le gluten « alors que ce dernier n’est pas forcément en cause ». Le problème avec ce raisonnement, c’est que le blé contient des quantités modérées de Fodmaps, mais qu’il y en a beaucoup plus dans les fruits et légumes tels les pommes, poires, pêches, melons, asperges, brocolis. Donc éliminer le gluten de son régime, ce n’est pas en faire disparaître les Fodmaps, d’autant que les manifestations de ladite sensibilité au gluten ne se cantonnent pas à l’intestin. Passons. De même, on nous dit que le maïs ne contient pas de gluten : pas faux, mais pas tout à fait exact non plus, puisqu’il y a dans le maïs des protéines ressemblant au gluten, et qui auraient les mêmes inconvénients que le gluten pour certains malades céliaques.

Il y a aussi des oublis. L’article ne dit pas un mot des centaines de milliers de personnes qui sont améliorées par un régime sans gluten, hors maladie céliaque ou sensibilité au gluten : ce sont celles chez qui cette protéine déclenche ou entretient des phénomènes d’auto-immunité, un phénomène correctement identifié par Jean Seignalet, confirmé depuis par d’autres scientifiques, mais combattu et contesté par la médecine mainstream, celle qui fait et défait carrières et réputations.

Finalement, le principal mérite de cet article est de redire, en dernière page, que les produits sans gluten que l’on trouve au supermarché ou dans les magasins spécialisés ne sont pas particulièrement bons pour la santé. Rien de nouveau, nous l’avions écrit, mais ce n’est pas mal de le répéter (l'inconvénient majeur de ces aliments, c'est leur index glycémique élevé en raison de la présence de farine de riz).

La dénonciation implicite du « formidable  marché » de ces produits sans gluten aurait, elle, plus de force si dans le même souffle était fustigé le marché colossal sur lequel les céréaliers ont régné en maniant une foule d’allégations mensongères et qu'ils tentent aujourd'hui de préserver. Lobby pour lobby, on reste d’ailleurs gêné par le micro tendu par la journaliste, en guise de conclusion, à trois « experts », l’un professeur de psychologie, l’autre médecin, et le dernier sociologue. Le message : le « sans gluten » relève de l’irrationnel et des peurs alimentaires.

On y croirait presque si le professeur de psychologie n’avait collaboré à un livre sponsorisé par Passions Céréales (l’interprofession céréalière), le médecin à un colloque de l’Observatoire du pain (pour endiguer la vogue du sans-gluten), et le sociologue aux actions de l’industrie laitière. 

Commentaire

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Par antonin | le lundi 29 septembre 2014
bonnes protéines et gluten

je constate que pour comprendre et expliquer un problème et ses éventuelles solutions,il faut connaitre le sujet parfaitement,de A à Z.
J'ai pu observer que les personnes souffrant des problèmes de< l'allergie > au gluten qui mangeaient mon pain de blé,n'avaient pas les difficultés de digestion des autres pains.Pour avoir cultiver,en bio,pendant une vingtaine d'années,des céréales(blé,petit épeautre,sarrasin)transformées en farine avec un moulin Astrié,et panifiées avec toute la connaissance et la conscience qu'il convient d'avoir pour offrir une vraie nourriture respectueuse de la terre et de ceux qui la consomme,je pense être en mesure d'aborder ce sujet avec les réponses aux questions posées par ce problèmes,ce qui n'est pas le cas d'une majorité de ceux qui en parle sans avoir
.C'est toute une remise en cause des bases de l'agriculture,concernant surtout l'importance de l'origine de l'azote et de son lien avec les protéines, qui permettra de sortir des impasses dans lesquelles notre société < moderne > s'est perdue par ignorance.

à propos de l'auteur

Journaliste scientifique, auteur de 19 livres de vulgarisation sur la santé, fondateur de Thierry Souccar Editions. En charge des questions de santé à Sciences et Avenir pendant 15 ans, il a créé LaNutrition.fr, premier site d’information francophone indépendant sur l’alimentation et la santé. Membre de l'American College of Nutrition/American Nutrition Association depuis 2000. C'est un passionné d'histoire des arts et des sciences, de paléontologie, peinture, aviation légère, littérature, musique. Il vit, écrit et peint dans le midi de la France. Il a deux fils, Paul et Louis. 

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