Le blog de Thierry Souccar, "Amuse-gueules"

Réflexions sur la vie, la mort, et tout ce qu'il y a au milieu. 

Par Thierry Souccar
Statines, l'illusion coûteuse

« Cholestérol, le grand bluff », un documentaire sur Arte à ne pas manquer.

« Cholestérol, le grand bluff », un documentaire sur Arte à ne pas manquer.

Un documentaire diffusé mardi 18 octobre 2016, et à nouveau le 28 novembre 2017 sur Arte raconte comment le cholestérol a été accusé d’être responsable des maladies cardiovasculaires pour le plus grand bénéfice des laboratoires pharmaceutiques et leurs statines.

Le documentaire d’Arte, « Cholestérol : le grand bluff », a le mérite de raconter la saga du cholestérol depuis 60 ans, ou comment une molécule anodine, indispensable à la vie, a été érigée en principale responsable des infarctus et des accidents vasculaires cérébraux. Toute une industrie, depuis les laboratoires d’analyse, en passant par l’agrobusiness et bien sûr les laboratoires pharmaceutiques s’est nourrie de ce scénario et a engrangé des milliards de dollars.  

Le cholestérol a été découvert dans la bile et les calculs de la vésicule biliaire par le chimiste français François Poulletier de la Salle en 1769, puis redécouvert en 1815 par un autre chimiste français célèbre, Eugène Chevreul, qui l’a nommé « cholestérine » (de cholè, bile et sterros, solide). En 1833 un autre Français, Félix-Henri Boudet, l’a identifié dans le sang.

Dans les artères du lapin

En 1907, le médecin russe Alexander Ignatowski a eu l’idée saugrenue de gaver ses lapins de protéines animales, et constaté qu’ils développaient de l’athérosclérose. En 1912, utilisant le protocole d’Ignatowski, les russes Nikolai Anichkov et Semen Chalatov ont nourri des lapins avec des rations astronomiques de graisses riches en cholestérol et observé eux aussi des lésions aux vaisseaux évoquant l’athérosclérose. Les expériences d’Anichkov restèrent largement ignorées en Occident pendant près de 40 ans, peut-être parce que le chercheur, engagé dès 1917 dans le Parti Bolchevique, resta un fervent communiste jusqu’à sa mort en 1964 d’un infarctus (le destin est parfois cruel).

Mais en 1950, alors que les Etats-Unis font face à une explosion des maladies cardiovasculaires, l’Américain John Gofman ressuscite les travaux d’Anichkov dans un article retentissant publié par le journal Science. Gofman y présente le chercheur russe comme un visionnaire. Car c’est maintenant une certitude : un régime riche en cholestérol conduit à l’athérosclérose chez le lapin, Gofman et son équipe l’ont vérifié. Et peu importe si la biologie du lapin est particulièrement éloignée de celle de l’homme. Gofman va d’ailleurs faire franchir une étape supplémentaire à la théorie du cholestérol athérogène. Utilisant une centrifugeuse, il isole deux fractions du cholestérol de lapin ; la première est baptisée « cholestérol à faible densité » (aujourd’hui LDL) parce qu’elle flotte à la surface du sérum ; l’autre est appelée « cholestérol à haute densité » (HDL). Pour Gofman et son équipe, c’est le cholestérol LDL, le « mauvais », qui est responsable de l’athérosclérose.

Le 24 septembre 1955, le Président Ike Eisenhower est terrassé par une crise cardiaque. Le cholestérol, que la presse et le corps médical ont commencé de présenter en coupable présumé devient le coupable avéré. On oublie alors qu’Eisenhower fumait deux paquets de cigarettes par jour.

Le documentaire d’Arte démarre son récit à cette époque, alors justement qu’un autre chercheur américain de l’université du Minnesota, Ancel Keys, se demande pourquoi les taux d’infarctus qui ont baissé en Europe après la guerre fauchent les riches Américains. Capitalisant sur les articles de Gofman, Ancel Keys échafaude l’hypothèse d’une corrélation entre le taux de cholestérol sanguin et les maladies cardiovasculaires. En 1955, lors d’une réunion de l’Organisation Mondiale de la Santé à Genève il présente comme une évidence ce qui n’est pourtant qu’une vision théorique : les infarctus sont dus à un régime alimentaire riche en graisses, qui fait s’élever le cholestérol sanguin.

Le documentaire raconte comment, après avoir constaté en Italie du sud l’extraordinaire densité des centenaires, il en vient à postuler qu’un régime alimentaire pauvre en graisses saturées protège de l’infarctus. Toujours le cholestérol. Cette vision s’exprimera dans la fameuse étude des Sept Pays, lancée en 1955 : il s’agit d’analyser les facteurs en relation avec l’infarctus aux Etats-Unis, en Finlande, Pays-Bas, Italie, Grèce, Yougoslavie et Japon. L’étude, dont les résultats vont s’échelonner entre 1970 et 1985 va conclure que certaines habitudes alimentaires, le tabac, la pression artérielle sont des facteurs de risque. Pour le cholestérol, le lien avec la mortalité cardiaque n’est significatif que pour les Etats-Unis et la Finlande mais le grand public retiendra que le cholestérol est le principal responsable : il conviendra dès lors le mesurer sans cesse et le faire baisser, surtout avec des médicaments. Les labos vont y veiller.

des statines "DANS l'eau du robinet"

Pourtant, aucun des médicaments hypocholestérolémiants mis sur le marché entre les années 1950 et la fin des années 1980 n’a fait baisser les infarctus. Mais la lutte contre le cholestérol élevé a pris un nouveau tournant en 1974, quand des chercheurs du laboratoire japonais Sankyo isolèrent dans des cultures de levure le premier inhibiteur de l’enzyme-clé de la synthèse du cholestérol - la HMG-CoA réductase. Baptisé mévastatine, le médicament fut inclus en 1978 dans des essais cliniques, au cours desquels il permit de réduire le mauvais cholestérol (LDL) avec peu d’effets secondaires. Toute première née de la famille des statines, la prometteuse mévastatine fut discrètement abandonnée avant même d’être commercialisée, des cancers intestinaux ayant été retrouvés chez la moitié des chiens qui la recevaient.

Les chercheurs de Sankyo se consolèrent en recueillant dans l’urine de leurs chiens une molécule qu’ils appelèrent pravastatine et mirent sur le marché en 1989. Merck, qui cherchait un substitut à la colestyramine les avait précédés de deux ans avec un composé similaire, la lovastatine. Le même laboratoire lança en 1991 un dérivé synthétique, la simvastatine. Avec la pravastatine, ce médicament fit l’objet de trois grands essais de prévention primaire et secondaire, dont les résultats, en apparence spectaculaires, furent publiés de 1994 à 1996 et abondamment médiatisés.

L’hystérie autour des statines, les milliards qui pleuvent vont faire perdre aux laboratoires et aux médecins leaders d’opinion qu’ils arrosent, tout sens de la mesure. Au printemps 1999, les poids lourds Merck et Bristol-Myers Squibb s’en allèrent demander à la Food and Drug Administration (FDA) la permission de proposer leurs médicaments à la vente libre. Plus besoin d’ordonnance pour se procurer la simvastatine et la pravastatine, plaidèrent-ils : on les trouverait désormais à portée de main, entre l’alcool à 90°C et les couches culottes. La demande, assurèrent-ils aux experts de l’agence, était formulée dans « l’intérêt de la santé publique », afin de « combattre l’épidémie de maladies cardiaques. »

De son côté, le Programme d’Education Nationale du Cholestérol, un organisme officiel noyauté par l’industrie pharmaceutique, proposait que 36 millions d’Américains en bonne santé prennent des statines tout simplement parce que leur cholestérol était un peu élevé. Les cardiologues ne montraient-ils pas l’exemple ? « Si vous dînez avec un groupe de cardiologue et demandez qui prend des statines, la plupart lèveront le doigt ! », s’exclamait, fasciné, le Dr Antonio Gotto, ex-président de l’Association américaine de cardiologie. Les neurologues n’étaient pas en reste. Sur la foi d’une étude isolée (contredite depuis) selon laquelle la prise de statines diminuerait aussi le risque d’Alzheimer, David Drachman, de l’université du Massachusetts estimait « concevable de déverser des statines dans l’eau de distribution, comme on le fait pour le fluor. Toute personne âgée devrait en prendre. »

Le marketing colossal autour des statines n’a à ce moment-là plus de limites. On voit dans le documentaire d'Arte une publicité sidérante : un couple dîne paisiblement au restaurant puis l’homme s’écroule. Une voix off commente : « Ah, s’il avait pris ses statines…» 

Un Grain de sable nommé de Lorgeril

Aujourd’hui, la surprescription de statines continue de plomber les comptes sociaux. Mais voilà : la belle machine promotionnelle a commencé de s’enrayer quand au début des années 2000, le Dr Michel de Lorgeril, chercheur au CNRS, qui constitue le fil rouge de ce documentaire d’Arte, a commencé de regarder de près toutes ces études épatantes sur les miracles des statines. Il a montré dans une série d’articles scientifiques (un résumé icicomment les résultats des premières études sur les statines ont été habilement présentés ou travestis par les laboratoires pour accréditer l’idée que les statines font diminuer la mortalité, et comment les effets secondaires ont été poussés sous le tapis. Dès lors que les règles régissant les essais cliniques sont devenues plus strictes, soit à partir de 2005, dit-il, on ne voit plus rien : les statines n'apportent aucun bénéfice ! De Lorgeril en a poussé la démonstration dans les 4 livres sur le sujet qu’il m’a fait l’amitié de me confier pour les éditer.

Aujourd'hui, des médecins et des chercheurs de premier plan s’élèvent pour dénoncer la prescription de ces médicaments en prévention primaire, à l’origine d’effets secondaires graves comme le diabète pour des bénéfices inexistants. De nombreux médecins continuent pourtant de penser que les statines ont un (petit) intérêt en prévention secondaire (patients ayant des antécédents), mais ce n'est pas ce que montrent les études publiées après 2005, lorsque les essais ont été soumis à des règles plus rigoureuses. Même l'étude Hope-3, considérée par certains médecins comme "une preuve de l'intérêt des statines" ne montre en réalité aucun bénéfice sur la mortalité.

Il faudra bien accepter un jour le fait que le rapport bénéfices/risques des statines est négatif et qu'on prévient l'infarctus par des changements (parfois douloureux) de mode de vie, pas des hypocholestérolémiants.

Lorsqu'ils ont le choix, plutôt que de prendre des statines (mais d'autres médicaments donnés en post-infarctus sont indispensables), beaucoup de patients préfèrent, avec l'accord et le suivi de leur médecin, adopter des conseils d'hygiène de vie bénéfiques, qui relèvent du bon sens : régime alimentaire pauvre en aliments ultra-transformés et en sucres ajoutés, avec de bonnes graisses comme les huiles d'olive et de colza, des noix, des fruits et légumes (régimes méditerranéen, ou paléo, ou végétarien), relaxation (méditation, cohérence cardiaque, yoga, tai chi, etc...), exercice (marche, nage, vélo, jogging, musculation...). Ces patients voient leur risque d'infarctus et d'autres maladies (diabète, cancers...) diminuer, comme en attestent de nombreuses études. 

Voilà pourquoi il ne faut pas manquer ce moment de télévision (pour une fois qu'on ne regrette pas sa redevance !).

2 livres de Michel de Lorgeril à lire : L'horrible vérité sur les médicaments anticholestérol et Cholestérol, mensonges et propagande

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à propos de l'auteur

Journaliste scientifique, auteur de 19 livres de vulgarisation sur la santé, fondateur de Thierry Souccar Editions. En charge des questions de santé à Sciences et Avenir pendant 15 ans, il a créé LaNutrition.fr, premier site d’information francophone indépendant sur l’alimentation et la santé. Membre de l'American College of Nutrition/American Nutrition Association depuis 2000. C'est un passionné d'histoire des arts et des sciences, de paléontologie, peinture, aviation légère, littérature, musique. Il vit, écrit et peint dans le midi de la France. Il a deux fils, Paul et Louis. 

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