Interview

"Pour vous libérer des émotions négatives, apprenez à regarder la réalité en face"

"Pour vous libérer des émotions négatives, apprenez à regarder la réalité en face"

Pour Michael Bennett, psychiatre, et sa fille, Sarah, scénariste, la vie est dure, et si vous souffrez ce n’est pas parce que vous avez un problème mais simplement parce que c’est la vie qui veut ça. La F*ck thérapie se concentre ainsi sur ce qui peut être changé, ce qui est sous votre contrôle. Rencontre avec les créateurs de cette thérapie déculpabilisante et jubilatoire.

Comment se nomme votre approche ? Cette idée de ne pas se concentrer sur les origines du problème mais sur la recherche de solutions ? Est-ce une branche particulière de la psychologie ?

Michael Bennett : Notre approche partage beaucoup de choses avec la thérapie comportementale dialectique (DBT en anglais), une forme de thérapie cognitivo-comportementale pour les personnes qui ont des émotions destructrices intenses. En particulier, parce que nous l'avons créée pour les personnes qui souffraient terriblement. Ce traitement ne va pas vous faire sentir mieux mais il vous permettra de ne pas vous sentir plus mal, en vous aidant à contrôler votre comportement.
L'idée qu'il y a beaucoup de choses dans la vie que nous ne contrôlons pas et que nous sommes pourtant toujours des individus est très difficile à accepter. C'est d'ailleurs en partie au cœur des paraboles juives ou chrétiennes, ou dans le Bouddhisme. Il n'y a rien de nouveau là dedans. Quelque fois ça sonne très 19e siècle de dire comme nous le faisons que parfois, quand vous vous sentez fort et que vous avez besoin de communiquer, vous feriez mieux en réalité de la fermer.

Comment résumeriez-vous votre approche des problèmes de la vie, que ce soit en amour, en famille ou au travail ?

Sarah Bennett : Le premier pas est d'accepter ce que vous ne pouvez pas contrôler. Beaucoup de personnes qui viennent consulter mon père veulent des choses qu'elles ne peuvent en réalité obtenir. Elles veulent une relation heureuse qui ne le deviendra jamais ou des opportunités qui ne sont pas faciles à faire émerger. Donc c'est en acceptant l'idée qu'il y a des cartes que vous n'avez pas en main, et en regardant uniquement ce que vous pouvez contrôler que vous avancez. Il s'agit aussi d'apprendre à être fier de vous-même : non seulement fier d'accomplir ce que vous pouvez accomplir mais aussi de ne pas vous en vouloir de ce que vous ne pouvez pas faire. Ne pas vous considérer comme un loser quand vous n'avez pas réellement échoué car vous ne contrôliez pas la situation de toute façon. Il s'agit aussi d'admirer votre capacité à résister à un sentiment de rejet, à la frustration, à la douleur, tout en continuant à vous concentrer sur un but plus raisonnable. Voilà ce sur quoi on insiste : trouver vos propres valeurs et essayer de les respecter le plus possible.

Michael Bennett : La plus grande leçon de notre méthode – et la plus difficile à intégrer – est d'arriver à être capable de rire de combien la vie est difficile. Si vous parvenez à en rire, vous ne prenez rien de ce qui vous arrive personnellement. Au moment où vous arrivez à rire de combien la vie « craint », et à ouvrir votre esprit à cette idée, vous avez réussi.

En quoi vos conseils diffèrent-ils de ceux que l'on peut lire çà et là ? Quelle est la principale différence entre vos livres et ceux qui expliquent comment être plus heureux ?

Sarah : De ce que nous savons – même si aucun de nous n'a jamais lu un livre de développement personnel – ce type de livre semble incomber le fardeau de la recherche du bonheur à ses lecteurs. Si vous suivez fidèlement les conseils du best-seller pseudo-scientifique Le secret de Rhonda Byrne par exemple et que vous n'êtes toujours pas heureux, vous êtes foutu. Ce n'est pas vraiment juste. Vous pouvez vous réveiller un matin déterminé à être heureux et à attirer le bonheur et la première chose que vous faites en sortant, c'est de marcher dans une merde de chien. Alors vous n'êtes plus heureux mais ce n'est pas vous qui avez posé la merde de chien là. Ce n'est pas de votre faute. Vous ne pouvez vraiment pas contrôler votre bonheur, quoi qu'un livre en dise.

Michael : Je pense qu'il devrait y avoir une loi nous obligeant à passer un certain laps de temps à imaginer les limites et à nous y préparer. Quand vous allez à l'hôpital, vous pensez tout de suite aux limites : qu'est-ce qui se passera si les choses tournent mal ? A quel  moment pourrez-vous dire qu'il vaut mieux arrêter les soins ? Les gens sont prêts à penser comme ça à propos des problèmes médicaux. Nous devrions aussi l'appliquer aux problèmes psy.

Pensez-vous qu'il n'y a aucun inconvénient à cloisonner ses émotions ou à ne pas analyser nécessairement les racines de ses émotions trop profondément comme vous le suggérez dans votre collection ?

Sarah : Nos guides ont pour but de résoudre des problèmes. Or les émotions ne sont pas le facteur le plus opérant pour approcher un problème. Quant à remonter à la source des problèmes, la plupart des gens pensent que cela marche comme lorsqu'on perd ses clés : « si je peux me souvenir du moment où j'ai vu mes clés pour la dernière fois, je pourrai les récupérer et tout finira bien ». Sauf que remonter à la source du problème ou à la dernière fois où vous l'avez rencontré, ne fait pas partir le problème pour autant. Quelques fois, la recherche de l'origine d'un problème peut être une distraction mais aussi une déception. Par exemple, si vous arrivez à comprendre pourquoi vous ne pouvez vous empêcher de tromper vos partenaires, que vous pouvez dire enfin «  aha c'est parce que mon père était un imbécile qui trompait ma mère », cette prise de conscience ne vous rendra pas automatiquement monogame.
Une de mes blagues favorites dans le livre – elle n’est pas de moi mais de mon père – s'inscrit dans le contexte d’une thérapie de couple : mettre des mots sur ses émotions c'est comme se libérer des gaz intestinaux, ça fait du bien au ventre sur le moment mais ça intoxique l’air de tout le monde autour de vous.

Michael : Nous avons vu aussi des cas de personnes ayant exprimé leur malheur, qui avaient fait le tour du problème mais qui avaient encore besoin d’une impulsion pour avancer. Elles avaient juste besoin d’accepter que la douleur n’allait pas partir, de réaliser qu’il y avait des choses dans leur vie qui avaient de la valeur, qui valaient la peine d'être vécues même si la douleur était toujours là.

Vous parlez d’acceptation mais accepter de ne pas avoir le contrôle sur les choses n’est pas aisé. Avez-vous des astuces pour aider les gens à y arriver plus facilement ?

Michael : En thérapie cognitive, on dit que lorsque vous êtes malheureux, vos pensées deviennent négatives et tendent à l’autocritique. Vous en arrivez à vous demander ce que vous avez fait de mal, ce que vous auriez pu faire et ce que vous auriez dû faire.
Vous pouvez sortir de ce cercle vicieux avec un exercice cognitif, en essayant de déterminer si vous avez fait de votre mieux. Si vous avez bien travaillé, ça ne sert à rien de continuer à vous critiquer. Je sais que je ne serai jamais complètement satisfait de ma conduite mais si je regarde mon comportement rationnellement et que je trouve que j’ai bien travaillé, je vais pouvoir m’accrocher à ça. Puisque vous êtes malheureux, vos émotions vous conduisent à penser que vous avez mal fait quelque chose. Mais si vous faites un inventaire rationnel, basé sur vos valeurs à vous, vous constatez que vous avez bien travaillé au contraire. En dépit du fait que vous vous sentez triste. Cela mérite des félicitations. Je pense que c’est un paradoxe de base : de vivre avec de la douleur tout en étant quelqu’un capable de bien fonctionner.

Sarah : Un autre test, que je trouve particulièrement utile car j’ai tendance à l’autocritique est de me demander ce que je dirais à un ami s’il me disait ce que je suis en train de me dire : « J’aurais pu mieux faire » ou « c’était vraiment stupide ». La réponse est que je lui dirais non, tu as tort, je regarderais les aspects positifs et encourageants. C’est toujours bon de s’extraire d’une situation et de se demander comment on jugerait quelqu’un qu’on aime qui serait dans la même position que soi.

Dans F*ck l’amour, vous dites que le sexe n’est pas forcément considéré comme la plus grande priorité dans une relation de couple. Comment en êtes-vous arrivés à cette conclusion et pensez-vous que cela reste controversé ?

Michael : Je pense que les attentes sont très dangereuses. La vie et le couple créent beaucoup d’attentes, sur le plan sexuel, et c’est encore plus vrai lorsqu’il y a des enfants. C’est difficile de répondre à toutes les attentes, c’est fatigant et frustrant. Si en plus il faut que nos émotions soient en permanence positives, aimantes et chaleureuses, il y a de bonnes chances pour que vous vous sentiez rapidement en échec.
Si vous commencez en revanche une relation amoureuse avec plus de bon sens, en vous posant surtout la question de savoir si c’est quelqu’un avec lequel vous avez envie d’être, dont vous avez pu vérifier le comportement en plusieurs circonstances, qu’il a envie de la même chose avec vous (se mettre en couple, avoir des enfants, etc.), bref si vous avez réfléchi à votre partenaire comme si vous lui proposiez une offre d’emploi eh bien vous avez plus de chances de continuer à vous aimer 10 à 20 ans plus tard.

Dans mon expérience, les divorces ne sont jamais dus au désamour. Ils relèvent presque toujours du problème de vie commune : « je t’aime mais je ne supporte pas la manière dont tu fais le ménage, ou que tu sortes boire la nuit avec tes copains, etc. »

Sarah : Au cours d’une relation amoureuse au long cours, les centres d’intérêt des partenaires changent et leur intérêt pour le sexe de même. Si vous êtes avec quelqu’un en qui vous pouvez avoir confiance, avec lequel vous avez une connexion solide, quand l’intérêt pour le sexe va diminuer, il n’y aura pas de problème. Le désir n’est pas contrôlable, particulièrement lorsqu’on vieillit. Croire qu’on peut maintenir le même niveau d’attraction entre deux personnes pendant 20 ans et plus, est tout simplement illusoire.

Dans F*ck les connards, vous expliquez que même si nos parents ont été de vraies pourritures pendant votre enfance, il ne faut pas se soucier de leur pardonner ou pas à l’âge adulte. Pourquoi ?

Michael : S’il s’avère que votre père ou votre mère est juste minable, cela revient à pardonner à un cafard d’être un cafard ou à un serpent d’être un serpent. Derrière le pardon se tapit l’idée que les gens avaient un choix et ont fait le mauvais choix. Je pense au contraire qu’on rencontre plus de personnes qui n’avaient en réalité pas de choix, qui sont seulement mauvaises. Je pense qu’il peut être libérateur quelque part de réaliser que son parent a fait ce qu’il a fait parce qu’il a simplement été conçu ainsi.

Sarah : Les gens ont souvent tendance à vouloir que leur parent admette leur erreur et leur demande pardon. Mais face à un connard, cela n’arrivera jamais. Mieux vaut ne pas attendre d’eux une quelconque révélation car l’attente sera longue, douloureuse et décevante.

Propos recueillis par Olga Khazan pour The Atlantic (traduction et adaptation par Thierry Souccar Editions).

La collection F*ck

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